Le Congrès Mondial Amazigh à la XVIème session du Mécanisme d'Experts

Le CMA à la 16ème session du Mécanisme d’experts de l’ONU sur les droits des peuples autochtones

 

Genève, Palais des Nations, 17-21 juillet 2023

 

 

Une délégation du Congrès Mondial Amazigh (CMA) a pris part à la 16ème session du Mécanisme d’experts des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (MENUDPA) qui s’est déroulée du 17 au 21 juillet 2023 au siège des Nations Unies à Genève.

 

Les représentants du CMA ont choisi de centrer leurs interventions sur quelques thèmes inscrits au programme de la session, tels que les langues autochtones, les droits de l’homme, la militarisation des territoires autochtones, le droit au développement, le suivi de la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et l’engagement du MENUDPA dans les pays. Le CMA a également organisé un évènement parallèle le 18 juillet 2023, sur les persécutions que subissent les défenseurs des droits des peuples autochtones, avec un focus sur le cas de Kamira Nait Sid, avec la participation de Amnesty International, IWGIA (International Working Group on Indigenous Affairs) et AIPN (African Indigenous Peoples Network). Les membres du CMA ont également participé le 18 juillet à la marche des autochtones, de la Place des Nations au quai Wilson à Genève, pour célébrer le centenaire de la venue à Genève du chef indien d'Amérique Deskaheh, afin de s’adresser à la Société des Nations. 

 

Invité à la tribune comme membre du panel sur le thème de la décennie des langues autochtones, Belkacem Lounès attire d’emblée l’attention de l’auditoire sur le fait que Kamira Nait Sid, coprésidente du CMA, est toujours détenue de manière arbitraire en Algérie et a exhorté l’ONU à redoubler d’efforts pour obtenir sa libération sans délai.

 

Il a ensuite rappelé que, comme tous les peuples, les Peuples Autochtones ont leurs propres langues et il est de leur droit de les conserver, de les utiliser et de les promouvoir. En plus d’être un droit, les langues autochtones représentent un intérêt non seulement pour leurs peuples mais aussi pour l’ensemble de l’humanité. La seule raison de leur mauvais état actuel, c’est que ce sont des langues dominées, qui appartiennent à des peuples qui subissent à ce jour, une forme ou une autre de colonisation. Le délaissement des langues autochtones n’est pas dû à d’éventuelles insuffisances ou incapacités structurelles de ces langues mais il est dû uniquement au mauvais traitement et à la marginalisation qu’elles subissent depuis des siècles. Et cela n’est pas juste, cela viole tous les droits humains. La communauté humaine doit y mettre un terme, au nom du droit et des valeurs humaines.

 

Belkacem Lounès pose ensuite la question: est-ce que la communauté internationale et ses composantes, notamment les Etats, font tout ce qu’il est nécessaire de faire pour sauvegarder les langues autochtones? Il répond: malheureusement NON! Il y a beaucoup de déclarations mais ces déclarations ont besoin d’être transformées en intentions réelles et sincères et en actes concrets, forts et efficaces, qui soient à la hauteur de l’enjeu et de la gravité de la situation. Il rappelle que l’année dernière au même endroit, il avait alerté sur le fait que tous les 15 jours une langue autochtone s’éteint. En conséquence, depuis l’année dernière, 24 langues autochtones ont disparu. Quand allons-nous prendre des mesures exceptionnelles pour arrêter ce linguicide? a t-il interrogé avant de recommander:

 

. Au niveau global (Unesco, ONU)

- Lancer une vaste et permanente campagne mondiale de communication et de sensibilisation sur les langues autochtones, menée par l’Unesco et relayée par les Etats, les Peuples Autochtones, les institutions académiques, etc.

- Inscrire la question des Langues Autochtones à l’agenda de toutes les AG de l’ONU et de l’Unesco.

- Lancer des appels à projets mondiaux, régionaux et locaux, comme une façon de manifester la prise de conscience de la communauté humaine et sa volonté d’agir avec force et sans délai pour la sauvegarde de son trésor linguistique.

- Lancer une campagne mondiale permanente de collecte de fonds publics et privés. Les Etats et les grands groupes industriels qui se sont enrichis souvent en pillant les ressources des Peuples Autochtones doivent être particulièrement mis à contribution. Cette collecte doit alimenter un fonds mondial de sauvegarde et de promotion des langues autochtones.

- Organiser une conférence mondiale des donateurs pour les langues autochtones. Par exemple, les riches touristes de l’espace, comme Elon Musk, au lieu de nous polluer l’atmosphère, devraient faire œuvre utile en aidant à sauver la richesse linguistique du monde. Nous devons solliciter ces super-riches qui ne savent pas quoi faire de leur argent...

- Faire des langues autochtones un volet important et incontournable de la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique, et renforcer les liens naturels entre les langues autochtones et les thématiques des ODD, les Océans, le patrimoine immatériel, etc.

- Jusqu’à présent, toutes les réunions périodiques de la global task force de la Décennie des langues autochtones se sont déroulées au siège de l’Unesco à Paris. Je suggère qu’elles soient désormais décentralisées dans les différents pays où il existe des peuples autochtones, ceci afin d’impulser ou de soutenir les dynamiques locales et régionales.

 

. Au niveau local (Etats, peuples autochtones)

- Laisser faire les Etats et les Peuples Autochtones qui sont sur la bonne voie et les féliciter.

- Dans beaucoup de pays notamment en Afrique et en Asie, les langues autochtones sont occultées, marginalisées et leurs défenseurs sont souvent persécutés. La décennie des langues autochtones doit leur donner l’opportunité d’être visibles afin que l’humanité découvre la réalité des langues autochtones et s’en préoccupe. En conséquence, l’Unesco et sa global task force devraient accompagner les Peuples Autochtones porteurs d’initiatives. Il ne faut pas laisser les peuples autochtones se battre seuls, surtout dans les pays où les Etats ne reconnaissent pas les Peuples Autochtones. Les Etats en tant que pouvoirs publics, ont la responsabilité première de prendre en charge les besoins de leurs peuples autochtones, y compris leurs langues. En conséquence, il faut être plus directif avec les Etats. L’ONU et l’Unesco doivent faire une évaluation périodique de ce que les Etats font ou ne font pas.

 

En conclusion, M. Lounes affirme que les langues autochtones constituent un enjeu humain, de justice, écologique et démocratique. C’est la condition de survie des Peuples Autochtones. Il faut que l’humanité soit au rendez-vous de ces enjeux. Il n’est pas normal que les humains sachent trouver de l’argent sans limite pour s’amuser ou se faire la guerre mais pas pour la culture et les langues autochtones.

 

Sur la question de la langue amazighe, Athman Sayad a expliqué qu’après son officialisation en Algérie et au Maroc, «nous pensions que notre langue était désormais à l’abri de toute menace et qu’elle allait enfin pouvoir s’épanouir grâce à son enseignement, à sa présence dans les administrations, les médias, etc. Mais nous avons vite déchanté. L’officialisation de la langue amazighe a été un leurre dans les deux pays». Au lieu de considérer Tamazight -langue et culture- comme une richesse, les gouvernements arabo-nationalistes la traitent comme une concurrente de la langue arabe et comme une «atteinte à leur unité nationale». En conséquence, les acquis et les projets en faveur de la promotion de la langue amazighe sont sabotés de l’intérieur, mis en échec par ceux qui sont censés les réaliser.

 

En Tunisie, Tamazight est en voie d’extinction, ne subsistant que dans quelques villages reculés. Seules quelques associations tentent de protéger ce patrimoine et de le promouvoir mais avec de très faibles ressources. En Libye, la langue amazighe est prise en charge par les autorités locales, c’est-à-dire les municipalités et des organisations de la société civile mais elle ne bénéficie d’aucune protection légale. Son statut est donc très fragile. En conclusion, dans les différents pays d’Afrique du Nord (Tamazgha) il n’y a aucune volonté politique de prendre en charge sérieusement Tamazight, la langue autochtone de ce territoire. En conséquence, les moyens nécessaires ne sont pas fournis pour sa promotion et au contraire, toutes sortes d’obstacles sont mis en œuvre pour empêcher son épanouissement.

 

Concernant le thème de la militarisation des territoires autochtones et ses impacts sur les droits des peuples, c’est Nasser Abuzakhar qui a pris la parole au nom du CMA. Il s’est appuyé sur le cas de la Kabylie pour illustrer son propos. La Kabylie est un territoire amazigh autochtone non-autonome sous administration de l’État arabo-islamique algérien. La Kabylie est peuplée d’environ 6 millions d’habitants. Il affirme que c’est à partir des années 1990 que les différents «services de sécurité» algériens (la police, la gendarmerie et l’armée) s’installent massivement en Kabylie, sous le prétexte de la lutte anti-terroriste contre les groupes islamistes armés (GIA). Ils ont installé un grand nombre de campements mobiles et fixes, transformant en casernements militaires des écoles, des centres de formation, des lieux de production, des salles de sport, etc. Aujourd’hui, les services de sécurité gouvernementaux en uniforme et en tenue civile, sont partout: dans nos villes et villages, dans nos forêts, sur nos plages, dans nos champs, sur nos routes. Ils patrouillent en permanence et s’invitent même dans les cérémonies privées comme les enterrements ou les mariages. Si vous vous attardez le soir dans vos champs ou si vous sortez tôt le matin, vous risquez fort de tomber sur des hommes armés qui tirent sans sommation. Beaucoup d’habitants ont été ainsi tués ou blessés. Les autorités déclarent alors cyniquement que ces personnes ont été victimes de balles perdues ou de bavures. Pas d’enquête, pas de justice, pas de sanction.

 

Selon un grand nombre de témoignages concordants, les incendies criminels de l’été 2021 qui ont fait environ 300 morts en Kabylie, ont été provoqués par les services de sécurité algériens. Le Congrès Mondial Amazigh avait réclamé une enquête indépendante afin de faire la lumière sur les véritables causes et impacts de cette catastrophe humaine, économique, sociale et écologique, mais celle-ci n’a jamais été mise en place. Le gouvernement aurait-il des choses à cacher? En tout cas, quiconque ose poser des questions sur ce sujet ou protester même de façon très pacifique, est immédiatement soumis aux harcèlements policiers et judiciaires. Plus de 300 Kabyles sont actuellement en prison. Les services de sécurité algériens sèment la terreur en Kabylie. La vie sociale et culturelle est lourdement impactée. Il n’y a plus de vie, juste de la survie, en silence. Voilà comment la Kabylie, jadis un havre de paix, est devenue une zone militaire où le danger et l’insécurité sont présents partout et tout le temps. Aussi, il s’avère clairement que le but de la présence excessive des services de sécurité algériens en Kabylie est d’occuper notre territoire et de contrôler sa population.

 

Nous demandons donc instamment à l’ONU et à toutes ses instances et notamment au Mécanisme d’experts, d’agir fermement et rapidement pour nous aider à démilitariser la Kabylie pour que l’on puisse revivre chez nous en paix.

 

Nasser Abouzakhar est également intervenu sur la question du droit au développement inscrit à l’ordre du jour. Il a déclaré qu’en Afrique du nord, les États ont confisqué les terres amazighes et leurs ressources naturelles, notamment dans le cadre de projets d'exploitation du pétrole, du gaz, de l'eau, des forêts, de l'uranium, et autres minerais. Les Etats coloniaux et actuels interviennent dans les territoires des communautés locales pour les empêcher de gérer leur développement. Les Etats agissent souvent violemment pour interdire et empêcher les initiatives d’autogouvernance, en violation du droit international. Les Etats veulent avoir le monopole de la décision et de l’action dans les territoires autochtones, ce qui est source de graves conflits. Par exemple, en ce moment en Libye, le ministre de l'Intérieur, a décidé de réorganiser les services de la police locale et des services de sécurité civile dans les territoires amazighs de l’Adrar Nefussa, sans aucune consultation, ni consentement des communautés amazighes, ce qui a provoqué des troubles graves.

 

Par conséquent, nous avons besoin du Mécanisme d’experts et de toutes les instances de l’ONU pour soutenir les communautés amazighes pour préserver leurs territoires et développer leurs capacités économiques, juridiques et politiques, conformément à ce que prévoir le droit international relatif aux droits des peuples.

 

Sur le thème de la mise en œuvre de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, Nasser Abuzakhar dénonce l'idéologie du panarabisme qui prône la supériorité de la race Arabe sur celle des non-Arabes. Les Amazighs d'Afrique du Nord sont victimes de cette idéologie raciste depuis des siècles et ils sont opprimés par les États pour la seule raison qu'ils sont différents. La culture et l'histoire amazighes ont été occultées et n'ont jamais été respectées et les nouvelles générations d’Amazighs ont énormément souffert du mépris, des mensonges et des violences institutionnels contre leur identité amazighe et leurs droits et leurs libertés fondamentales.

 

Concernant le thème de l’engagement-pays du Mécanisme d’experts de l’ONU sur les droits des peuples autochtones, Nasser Abuzakhar a déclaré que le Congrès Mondial Amazigh considère que cette nouvelle mission du Mécanisme d’experts est une chance pour les peuples autochtones de collaborer plus étroitement avec les Nations Unies et d'attirer encore plus leur attention sur leurs souffrances et pour mettre fin aux injustices, aux dépossessions et au racisme que subissent les peuples autochtones, comme c’est le cas pour les Amazighs dans tous les pays d’Afrique du nord.

 

Aujourd’hui, les Amazighs ne sont pas reconnus en tant que peuples distincts et leurs droits collectifs sont niés. De plus, il n’y a aucun dialogue entre les gouvernements et les Amazighs à cause de l’absence de volonté des gouvernements. Or nous pensons qu’il ne peut y avoir de solutions sans discussion et sans accords et autres arrangements constructifs librement consentis entre les gouvernements et les peuples autochtones. Aussi, nous Congrès Mondial Amazigh, nous demandons au Mécanisme d’experts de prendre contact avec les gouvernements pour les amener à la table des discussions avec les représentants des Amazighs dans les différents pays d’Afrique du nord. Il est entendu que les représentants des Amazighs devront être choisis par les Amazighs eux-mêmes et selon leurs propres procédures. Si les rencontres ne peuvent pas avoir lieu dans les pays, elles pourraient être organisées dans les locaux de l'ONU, par exemple ici à Genève. Nous demandons instamment au Mécanisme d’experts d’exercer son mandat d’engagement-pays et d’intervenir dans nos pays pour:

 

- Faire reconnaître officiellement les Amazighs en tant que peuples autochtones dans les différents pays d’Afrique du nord et Sahara,

- Faire respecter le droit international relatif aux peuples autochtones, notamment leur droit au consentement préalable, libre et éclairé et leur droit à l’autodétermination, et en vertu de ce droit, «ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel» (article 3 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones).

 

Sur ce même thème, Belkacem Lounès a également pris la parole pour rappeler qu’en créant des instruments juridiques et des mécanismes dédiés à la protection et à la promotion des droits des Peuples Autochtones, l’ONU reconnaît les Peuples Autochtones en tant que tels et comme peuples égaux aux autres peuples. De ce fait, l’ONU reconnaît aux Peuples Autochtones leur droit à l’autodétermination et leur droit au consentement préalable, libre et éclairé sur toutes les décisions qui les concernent.

 

Or, dans les faits, et à quelques rares exceptions près, ces droits sont bafoués. En matière d’engagement-pays inscrit dans le mandat du Menudpa, lorsqu’un peuple autochtone invite les experts du Menudpa à lui rendre visite, l’acceptation de l’invitation et la visite des experts, sont subordonnés à l’accord de l’État concerné. Autrement dit, si un État ne donne pas son accord, la visite ne peut pas avoir lieu. Cette règle a pour effet d’entraver l’exercice du mandat du Menudpa et d’empêcher l’exercice du droit à l’autodétermination des Peuples Autochtones. Et si cette règle ne change pas, beaucoup de Peuples Autochtones ne connaitront jamais la joie d’accueillir les experts du Menudpa.

 

Comment sortir de cette impasse? Belkacem Lounès suggère aux experts du Menudpa, aux Peuples Autochtones et aux Etats, d’examiner sérieusement la possibilité de faire évoluer cette règle afin d’aboutir à ce que les Peuples Autochtones aient le droit d’inviter et de recevoir la visite des experts du Menudpa et de tous les porteurs de mandats de l’ONU, même lorsque l’État concerné ne répond pas ou n’est pas d’accord.

 

Le représentant du CMA déclare à l’intention des experts du Menudpa et aux membres du Conseil des droits de l’homme: «Je suis conscient que je vous invite à une innovation majeure sur cette question importante mais cette innovation me semble indispensable pour sortir des blocages existants. Je précise que la modification proposée ne remet pas en cause la souveraineté des Etats et elle est tout à fait conforme et cohérente avec les objectifs d’inclusion des Peuples Autochtones dans le système des Nations Unies et avec le principe du respect de leurs droits tels que mentionnés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples Autochtones».

 

 

CMA, Genève, 21/07/2023