
ONU-Medpa, engagement pays en Kabylie et en Libye
En marge de la 18e session du Mécanisme d’Experts des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (MEDPA) qui s’est déroulée du 14 au 18 juillet 2025 au Palais des Nations à Genève, une délégation du CMA a été reçue le 14 juillet 2025 par Mme Anexa Brendalee Alfred CUNNINGHAM, Présidente ainsi que par Messieurs Binota Moy DHAMAI et Ojot Miru OJULU, membres experts du MEDPA.
Le but principal de cette entrevue demandée par le CMA était de remettre officiellement au MEDPA deux demandes d’assistance, l’une concernant la Kabylie et l’autre concernant les Amazighs de Libye et ce, conformément à la résolution n° 33/25 du 30/09/2016 du Conseil des droits de l’homme portant sur le mandat du Mécanisme d’Experts des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Sur le dossier Kabyle, les membres du CMA ont d’abord expliqué en détail la répression sous toutes ses formes, les persécutions, la haine, le racisme et les discriminations raciales, les crimes, la prison, le banissement et la politique d’appauvrissement que subit le peuple Kabyle depuis l’indépendance de l’Algérie il y a plus de 60 ans. Actuellement, plusieurs centaines de Kabyles sont emprisonnés et 39 d’entre eux ont été condamnés à mort, accusés de « terrorisme ou d’atteinte à l’unité nationale » sur la base de l’article 87 bis du code pénal algérien, pourtant jugé non conforme au droit international par plusieurs organes de l’ONU. Les membres de notre organisation, le Congrès Mondial Amazigh, qui collabore avec les Nations Unies depuis plus de trois décennies, subissent sans cesse les représailles des autorités algériennes.
Le différend entre l’Algérie et la Kabylie est profond et historique. Il s’explique par le fait que l’Algérie qui se définit comme « arabe et islamique » n’accepte pas l’existence du peuple Kabyle-Amazigh, peuple distinct, autochtone de l’Afrique du nord. L’Algérie met en œuvre un plan d’éradication de tout ce qui n’est pas arabe et musulman dans ce pays. Mais malgré les violences et les souffrances qu’ils endurent, les Kabyles ont toujours agit de manière pacifique et réclamé le règlement du conflit qui les oppose à l’État algérien par la voie du dialogue et sur la base droit international relatif aux droits de l’homme et des peuples. Mais les gouvernements algériens n’ont jamais donné suite de manière sincère et constructive aux offres de solutions paisibles des Kabyles. Au contraire, la répression a été la seule réponse des autorités algériennes aux revendications légitimes du peuple Kabyle. Celles-ci sont rappelées chaque année par des millions de personnes notamment lors des célébrations collectives de Yennayer, le Jour de l’An Amazigh et les manifestations populaires de Tafsut Imazighen, le Printemps Amazigh.
En conséquence, compte tenu notamment du caractère autochtone du peuple Kabyle, l’intervention des Nations Unies par l’intermédiaire de son Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, nous apparaît à la fois pertinente, légitime, nécessaire et urgente. C’est pourquoi, en tant qu’organisation de protection et de promotion des droits des Amazighs, avec le soutien d’un certain nombre d’organisations et de personnalités Kabyles, le Congrès Mondial Amazigh sollicite aujourd’hui officiellement le MEDPA pour :
1- Informer et conseiller les représentants de la Kabylie sur les voies et moyens de protéger et de promouvoir les droits du peuple kabyle, conformément au droit international et en particulier conformément à la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones,
2- Sensibiliser et inviter le gouvernement algérien au dialogue avec les représentants de la Kabylie et accompagner et faciliter le bon déroulement de ce dialogue, dans le but de parvenir à un accord comprenant des mesures législatives et administratives concrètes permettant de mettre fin à l’oppression et à la répression subies par les Kabyles, de sortir de l’état de tension et de conflit permanents et permettre au peuple Kabyle d’accéder et de jouir de tous ses droits, conformément au droit international et particulièrement à la Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones.
Il est bien entendu que les « représentants de la Kabylie » seront désignés le moment venu par les Kabyles eux-mêmes et selon leurs propres procédures, sans aucune forme d’ingérence des autorités algériennes.
Concernant le cas de la Libye, la demande d’intervention du MEDPA est portée par le Haut Conseil des Amazighs de Libye (HCAL), en collaboration avec le Congrès Mondial Amazigh (CMA). En l’absence de la délégation du HCAL qui n’a pas pu rejoindre Genève faute de visa, c’est le CMA qui a présenté le dossier concernant les Amazighs de Libye.
Les représentants du CMA ont expliqué brièvement que depuis la formation de l’État libyen il y a 65 ans, les Amazighs de ce pays ont toujours subi l’assimilation forcée, la marginalisation politique et socio-économique, le racisme et les discriminations, les violations de leurs droits politiques, économiques, sociaux, culturels et linguistiques. Les Amazighs de Libye ont été particulièrement réprimés durant l’ère de l’ancien dictateur Kadhafi et ont également été dépossédés de leurs terres et de leurs ressources naturelles telles que le pétrole et le gaz naturel notamment.
Même si à ce jour aucune Constitution n’a encore été adoptée en raison de la guerre civile qui dure depuis 2011 dans ce pays, les autorités libyennes définissent clairement la Libye comme un pays «arabe, de religion musulmane sunnite», avec l’arabe comme seule langue officielle. Le peuple amazigh de Libye n’est pas reconnu et ne bénéficie d’aucun droit en tant que peuple autochtone de ce pays. En conséquence, si les choses restent en l’état, les droits des Amazighs de Libye continueront d’être bafoués avec le risque important de disparition totale de la présence amazighe dans ce pays. Mais les Amazighs refusent cette triste perspective qui menace leur survie. Ils veulent que leur civilisation plurimillénaire continue de prospérer dans leurs territoires historiques.
Actuellement, la Libye dispose de deux parlements et de deux gouvernements, l’un basé à Benghazi et contrôlant l’est et une grande partie du sud du pays et l’autre, basé à Tripoli et contrôlant l’ouest du pays. C’est ce dernier qui est reconnu par l’ONU.
La situation chaotique que vit la Libye depuis bientôt 15 ans, a poussé les Amazighs de ce pays à prendre leur destin en main en rétablissant leur système traditionnel de gouvernance et de gestion autonome de leurs territoires. Aujourd’hui ils jugent cette expérience très positive dans tous les domaines et ils souhaitent par conséquent la reconnaissance par l’État libyen, d’un statut d’autonomie pour leurs territoires. Seul ce statut est en mesure de permettre les conditions nécessaires à la protection des communautés amazighes et d’assurer le développement durable de leurs territoires.
Pour réaliser ces objectifs, les Amazighs de Libye ont besoin de l’expertise et des conseils des membres du MEDPA, afin de préparer les négociations avec les autorités libyennes, dans le but de parvenir à un statut particulier pour les territoires Amazighs, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Ce projet est à la fois conforme aux aspirations du peuple amazigh de Libye mais il est également porteur de paix et de prospérité pour l’ensemble du pays.
Le Haut Conseil des Amazighs de Libye, avec le soutien du CMA, demande donc au Mécanisme d'experts de l’ONU:
1- de les informer et de les conseiller sur leurs droits collectifs, tels qu’ils sont mentionnés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones,
2- d'examiner et d’élaborer avec les institutions amazighes, les mesures notamment législatives nécessaires à la mise en œuvre des droits des Amazighs,
3- d'inviter les autorités gouvernementales libyennes à ouvrir un dialogue avec les représentants amazighs de Libye et de faciliter ce dialogue, en vue de parvenir à un accord sur un statut juridique spécial pour les territoires amazighs de Libye, conformément aux traditions amazighes et à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Pour conclure la réunion, la Présidente du MEDPA a remercié la délégation du CMA et s’est engagée à examiner avec attention les deux requêtes (concernant la Kabylie et les Amazighs de Libye) et à revenir vers les requérants dès que possible. Les représentants du CMA ont remercié la Présidente et les experts ainsi que le secrétariat du MEDPA pour leur écoute et les a assurés de sa disposition à leur apporter toute information complémentaire si besoin et espère vivement une visite prochaine des experts du MEDPA en Kabylie et dans les territoires Amazighs de Libye.
Palais des Nations, Genève, 20 juillet 2025
Le Bureau du CMA.