Algérie: le procès de Kamira Nait Sid est le procès du CMA

Algérie : Le procès de Kamira Nait Sid est le procès du Congrès Mondial Amazigh

 

Lors d’un procès inéquitable tenu le 15 décembre 2022 au tribunal criminel de Dar-El-Beida, près d’Alger, la justice algérienne a condamné injustement Kamira Nait Sid coprésidente du Congrès Mondial Amazigh (CMA), à cinq ans de prison ferme et 100.000 Dinars d’amende. Kamira Nait Sid était officiellement poursuivie pour huit chefs d’inculpation dont « adhésion à une organisation terroriste », « complot contre l’Etat », etc.

 

Durant l’audience, le juge a montré un intérêt certain pour l’organisation Congrès Mondial Amazigh et a posé beaucoup de questions à sa coprésidente à ce sujet.

 

Le bureau du CMA tient à informer les juges algériens que notre organisation est une Organisation Non Gouvernementale (ONG) internationalement connue et reconnue, qu’elle n’est pas soumise au droit algérien et de ce fait elle n’a aucun compte à rendre aux autorités algériennes. Cependant, dans un souci de transparence et de pédagogie, nous répondons ici aux interrogations du juge.

 

Mais avant tout et concernant le cas de Kamira Nait Sid, le CMA tient à appeler instamment les juges algériens à appliquer scrupuleusement les accords, conventions et pactes internationaux ratifiés par l’État algérien. Cela fait partie de leurs compétences et de leurs obligations légales. Et en l’occurrence, ils doivent mettre en œuvre immédiatement la décision prise le 1/04/2022 par le Groupe de Travail de l’ONU sur la détention arbitraire (référence A/HRC/WGAD/2022/15) qui a jugé que  Kamira Nait Sid est une défenseure des droits humains et de son peuple et non une terroriste. Toutes les activités menées par Mme Nait Sid sont protégées par le droit à la liberté d’expression, de réunion et d’association garantis par le droit international ratifié par l’Algérie et par la Constitution algérienne. En conséquence, l’arrestation et la détention de Mme Nait Sid sont dénuées de fondement juridique et sont donc arbitraires. Aucun procès concernant Mme Nait Sid ne devrait avoir lieu et elle devrait être libérée immédiatement et sans condition. La décision complète du Groupe de Travail sur la détention arbitraire de Kamira Nait Sid est consultable sur : https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/issues/detention-wg/opinions/session93/2022-10-10/A-HRC-WGAD-2022-15-AdvanceEditedVersion.pdf

 

Par ailleurs, les juges algériens ont pour obligation de respecter les lois et les procédures légales. Il est consternant et hautement condamnable que des sentences aient été prononcées en l’absence de fondement juridique valable, en l’absence de preuves, sur la base d’aveux obtenus par le moyen de la torture et en interdisant aux prévenus de s’exprimer en Tamazight pourtant langue officielle dans le pays. Ce sont de graves manquements aux droits des prévenus et au devoir de justice dont les responsables auront à en répondre personnellement un jour ou l’autre.

 

Concernant le Congrès Mondial Amazigh, son siège administratif se trouve en France parce que c’est le pays où vit une forte diaspora amazighe, c’est le pays où le CMA jouit de liberté d’action et parce que dans les Etats du nord de l’Afrique, les contraintes administratives, réglementaires et politiques, rendraient impossible les activités d’une ONG comme le CMA. Et pour nous, le pire Etat en matière de respect de nos droits et libertés d’expression, de réunion et d’association, c’est l’Algérie. A titre d’exemple, le CMA a réuni l’assemblée générale de ses membres aux Iles Canaries (1997), au Maroc (2005 à Nador, 2008 à Meknès et 2015 à Agadir) et en Tunisie (2011 à Djerba et 2018 à Tunis). En Algérie, jamais. Toutes les activités du CMA dans ce pays, y compris les actions de formation, ont été interdites et violemment empêchées. Toutes les réunions du Conseil Fédéral du CMA en Algérie se sont terminées au Commissariat de police et la tentative d’organiser le 6ème congrès du CMA en 2008 en Kabylie a été mise en échec par les Walis (Préfets) de Tizi-Wezzu et de Vgayet. Il est également important de noter que sur les 10 membres du Conseil Fédéral du CMA élus au congrès de Tunis en 2018, deux sont en prison (dont Kamira Nait Sid), deux ont fui à l’étranger et pour les autres, nous sommes sans nouvelles d’eux. Voilà comment les autorités algériennes traitent le Congrès Mondial Amazigh dans ce pays.

 

Pourquoi le CMA organise le plus souvent ses réunions et ses activités au Maroc ? Parce que c’est là où, malgré tout, les activités du CMA sont possibles et parce que le Maroc est un pays de Tamazgha et les membres du CMA se sentent chez eux, quelle que soit leur nationalité administrative. Pour le CMA, Tamazgha est le pays des Imazighen. En conséquence, tout en souhaitant et en agissant pour la paix et l’amitié entre les peuples, le CMA se situe au-dessus des querelles entre les Etats dont les frontières, nous ne l’oublions pas, ont été tracées par le colonialisme français. Et sur le plan purement légal, les visites d’Algériens au Maroc sont-elles interdites ? Se rendre au Maroc est-il un crime ?

 

Sur le prétendu financement du CMA par les gouvernements marocain et israélien : C’est une allégation évidemment mensongère que nous avons entendue de la part d’un haut cadre du ministère de l’intérieur algérien sur les ondes de la radio publique algérienne francophone quelques jours avant l’enlèvement de Kamira Nait Sid le 24/08/2021. Nous avons aussitôt demandé un droit de réponse mais celui-ci ne nous a pas été accordé. Les responsables algériens n’ont jamais apporté une once de preuve à leur assertion mais ils la renouvellent régulièrement juste pour jeter l’opprobre sur une ONG indépendante, qui ne se laisse pas impressionner et dont les activités dérangent le régime algérien particulièrement. En réalité, les financements du CMA proviennent des cotisations de ses membres, de dons individuels des Amazighs, de fonds accordés par des ONG partenaires et des instances internationales (ONU, UNESCO…) qui soutiennent ses projets. Et Kamira Nait Sid, en sa qualité de présidente (2015-2018), puis de coprésidente (depuis 2018) bénéficiait des financements du CMA pour l’accomplissement de ses missions de notamment de formation, de plaidoyer et de promotion des droits de l’homme tant en Algérie que dans les autres pays d’Afrique du nord, ainsi qu’auprès des instances internationales.

 

Concernant le fait que Kamira Nait Sid serait membre du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) : Comme elle l’a elle-même déclaré au juge d’instruction, elle a été membre de cette organisation jusqu’en 2005 (à ce moment-là le MAK prônait l’autonomie de la Kabylie), puis elle en a démissionné dès qu’elle a adhéré au CMA la même année car pour garantir son indépendance, le CMA n’admet pas la double appartenance. Les relations que la présidente, puis coprésidente du CMA entretient avec les membres du MAK et des autres organisations politiques et de la société civile, se limitent aux questions des droits humains tels qu’ils sont mentionnés dans les instruments juridiques internationaux. Le fait de prendre une photo avec un groupe de membres du MAK avec leur drapeau, ne constitue nullement une preuve d’adhésion au projet de ce mouvement. D’ailleurs il existe des photos de Kamira Nait Sid avec des groupes d’Amazighs portant le drapeau Chawi ou Rifain ou des At-Mzab ou des Canariens, etc. Quant au droit à l’autodétermination, le CMA rappelle que c’est un droit humain fondamental, inscrit dans le droit international et en tant qu’ONG, le CMA en assure la promotion.

 

En conclusion et encore une fois, le CMA est une ONG de protection et de promotion des libertés et des droits humains individuels et collectifs des Amazighs, qui s’appuie principalement sur le droit international. Le CMA travaille dans un cadre parfaitement légal et comme l’a souligné le Groupe de Travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, les activités de Kamira Nait Sid ne violent aucune loi, ni algérienne, ni internationale, jusqu’à preuve du contraire dûment constatée.

 

En tout état de cause, le CMA poursuivra sa mission sans relâche quels que soient les embûches. Il appelle les juges algériens à défendre leur indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, à ne pas être l’instrument répressif de ce pouvoir et à n’obéir qu’aux principes de justice et au droit. Ce n’est pas en réprimant arbitrairement les droits et les libertés qu’on s’assure la paix et la prospérité.

 

Paris, 15/12/2972 – 27/12/2022

 

Le Bureau du CMA