87ème session du comité des Nations Unies sur les droits de l’enfant

Examen du rapport de la Tunisie

26 – 28 mai 2021

 

Le comité des droits de l’enfant de l’ONU, chargé de surveiller l’application de la convention internationale relative aux droits de l’enfant, a examiné le rapport périodique du gouvernement tunisien sur la situation des droits de l’enfant en Tunisie, par visioconférence, les 26, 27 et 28 mai 2021.

 

Ce rapport était attendu en 2017 et a finalement été présenté par le gouvernement tunisien en 2021, soit avec 4 ans de retard.

 

Le Congrès Mondial Amazigh (CMA), ONG de protection et de promotion des droits des Amazighs a présenté son rapport alternatif concernant les droits des enfants amazighs de Tunisie et était présent à cette session du comité.

 

La délégation tunisienne était composée de 17 hauts fonctionnaires représentant différents ministères et conduite par M. Othman Jerandi, Ministre des Affaires Etrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger. Dans sa déclaration introductive, le ministre tunisien a affirmé que le rapport de son gouvernement a été élaboré avec la participation des organisations de la société civile mais sans en donner la liste. A ce sujet et à notre connaissance, aucune organisation amazighe n’a été conviée à participer à l’élaboration du rapport de la Tunisie. Il y a donc une discrimination et une exclusion évidentes à l’encontre des organisations amazighes de Tunisie.

 

Répondant aux questions des experts du comité des droits de l’enfant, M. Hamdi Khalifa, représentant du Ministère des Affaires Sociales a déclaré que « la Constitution tunisienne interdit toute forme de discrimination et qu’elle offre les mêmes protections à tous les enfants tunisiens ». Or, le rapport alternatif du CMA prouve sans difficulté le fait que les Amazighs de Tunisie ne jouissent pas des mêmes droits constitutionnels que le reste de la population tunisienne.

 

Mme Sana Bouzaouache, représentante des services chargés des relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et des droits de l'Homme, a rappelé la loi n° 50 de 2018 sur la lutte contre les discriminations qui protège selon elle, « tous les enfants contre toutes les formes de discriminations, y compris les enfants appartenant à des minorités, aux peuples autochtones et notamment les Amazighs »[1]. Cependant, en Tunisie comme dans le reste des pays du nord de l’Afrique, il y a un gouffre entre les textes et les réalités qui sont bien plus amères. Car comme le souligne le rapport alternatif du CMA, les enfants amazighs demeurent à ce jour victimes de privations d’un certain nombre de leurs droits fondamentaux tels que leurs droits civils en tant qu’Amazighs, le droit à leur histoire, à leur patrimoine, à leur langue et à leur culture.

 

Mme Bouzaouache a également déclaré que le gouvernement tunisien a mis en place en 2019 un comité national de lutte contre les discriminations comprenant des représentants du gouvernement et de la société civile, prévoyant une stratégie pour la promotion de la langue, de la culture et de l’héritage civilisationnel amazighs. Elle ajoute que « le ministère tunisien de l’éducation nationale prévoit la mise en place de l’enseignement de la langue amazighe, comme langue optionnelle, dans les prochaines années ».

 

Le CMA prend acte des déclarations du gouvernement tunisien concernant la promotion de l’amazighité en Tunisie et attend avec impatience leur concrétisation. Cependant, le CMA ne cache pas son scepticisme dans la mesure où les recommandations sur les droits des Amazighs adressées en 2016 par le comité des droits économiques, sociaux et culturels au gouvernement tunisien n’ont été suivies d’aucun effet à ce jour.

 

Le CMA note que la plupart des réponses apportées par les membres de la délégation tunisienne aux questions du comité sont des déclarations générales et lorsqu’elles sont étayées par des statistiques, celles-ci émanent des administrations dépendant du gouvernement. Autrement dit, le gouvernement tunisien se réfère à des données qu’il a lui-même confectionnées et donc non indépendantes et impossible à vérifier. Cela remet en cause la crédibilité de la plupart des informations fournies par le gouvernement tunisien.

 

Le CMA note avec satisfaction la pertinence des questions posées par le comité des droits de l’enfant aux membres de la délégation tunisienne mais il aurait été très utile que le comité demande explicitement des informations précises sur la mise en œuvre des recommandations faites en 2016 au gouvernement tunisien par le comité onusien sur les droits économiques, sociaux et culturels (E/C.12/TUN/CO/3)[2]. Le CMA aurait également souhaité que les droits des enfants amazighs soient abordés sous l’angle autochtone, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones et au nécessaire principe de collaboration entre tous les organes de l’ONU chargés des droits de l’homme et des peuples.

 

Dans ses conclusions finales[3], le comité des droits de l’enfant a demandé au gouvernement tunisien de « a) garantir le droit des enfants amazighs à une éducation interculturelle et bilingue qui respecte leur culture et leurs traditions, notamment en intégrant la langue amazighe comme deuxième langue dans les programmes scolaires et b) de « développer des initiatives, en coopération avec les associations culturelles amazighes, pour reconnecter les enfants amazighs avec leurs pratiques culturelles ».

 

Bien qu’elles ne traitent pas de l’ensemble de la problématique amazighe en Tunisie, ces recommandations sont très positives. Reste leur mise en œuvre concrète qui est un défi majeur. Aussi, le Congrès Mondial Amazigh appelle les organisations amazighes à se mobiliser afin que le gouvernement respecte ses obligations internationales. Par ailleurs le CMA insiste sur le fait qu’il est indispensable que les organisations amazighes de Tunisie soient non seulement consultées mais qu’elles soient étroitement associées à tous les niveaux et à toutes les étapes de toute initiative concernant les Amazighs de ce pays. Le CMA continuera de suivre avec attention l’évolution de la situation des droits des Amazighs dans ce pays et agira avec toutes les parties prenantes, dans le sens des droits du peuple autochtone amazigh.

 

Paris, 29/05/2971 – 10/06/2021

Le Bureau du CMA.

 

[1] http://webtv.un.org/meetings-events/human-rights-treaty-bodies/watch/consideration-of-tunisia-2519th-meeting-87th-session-committee-on-the-rights-of-the-child/6256142379001/?term=

[2] a- collecter à partir de l'auto-identification, des statistiques ventilées par appartenance ethnique et culturelle,

b- prendre des mesures administratives et législatives afin d'assurer l'enseignement de la langue amazighe à tous les niveaux scolaires et encourager la connaissance de l'histoire et de la culture amazighes,

c- abroger le décret n°85 du 12/12/1962 et permettre l'enregistrement des prénoms amazighs dans les registres de l'Etat civil,

d- faciliter un déroulement serein des activités culturelles organisées par les associations culturelles amazighes.

 

[3] https://tbinternet.ohchr.org/Treaties/CRC/Shared%20Documents/TUN/CRC_C_TUN_CO_4-6_45075_E.pdf