Algérie-UE: le CMA demande la suspension de l'accord d'association

Lettre du CMA au Parlement Européen

 

Monsieur David Maria SASSOLI, Président du Parlement Européen

Mesdames, Messieurs les Vice-Présidents du Parlement Européen

Mesdames, Messieurs les parlementaires européens

 

 

Au cours des deux dernières années, vous avez adopté deux résolutions sur la situation des droits de l’homme et des libertés en Algérie.

 

Courageusement et conformément aux valeurs, aux principes et aux règles qui fondent l’Union Européenne, vous avez dénoncé les arrestations et les détentions arbitraires et demandé la libération des détenus, la cessation des atteintes aux droits de l’homme et aux libertés. Vous avez notamment exigé des autorités algériennes qu’elles mettent fin « à toute forme d’intimidation, y compris le harcèlement judiciaire et législatif, l’incrimination ainsi que les arrestations et les détentions arbitraires ». Vous avez également « invité les autorités algériennes à assurer et à garantir le droit à la liberté d’expression, d'association et de réunion pacifique et à la liberté des médias, garanti par la Constitution algérienne et le pacte international relatif aux droits civils et politiques, que l’Algérie a signé et ratifié ».

 

Par ailleurs vous avez « invité le Service européen pour l’Action extérieure, la Commission et les États membres à soutenir les groupes de la société civile, les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes et les manifestants » et « à suivre de près la situation des droits de l’homme en Algérie au moyen de tous les instruments disponibles, dont l’instrument européen pour la démocratie et les droits de l'homme ».

 

Or quatorze mois après la résolution de novembre 2019 et plus de deux mois après celle de novembre 2020, l’Algérie poursuit à l’identique sa politique répressive, sans avoir entendu aucune des demandes du Parlement Européen.

 

Actuellement, Lounès Hamzi, membre du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie, un mouvement politique qui agit de manière pacifique et démocratique, est en détention préventive depuis le 7 octobre 2020, poursuivi pour de motifs graves mais totalement infondés et imaginés par les services algériens. Il risque de rester longtemps en prison, sans jugement, et d’y subir des mauvais traitements, comme ceux dont a été victime le défenseur des droits du peuple Amazigh At-Mzab, Kamel-Edine Fekhar, finalement mort en détention en 2019.

 

Les accusations fallacieuses d’«atteinte à l’unité nationale» ou l’«offense aux préceptes de l’islam» sont régulièrement invoqués pour faire condamner de paisibles citoyens. Abdelghani Mammeri a été condamné le 15 décembre 2020 par le tribunal d’Amizour en Kabylie, à 6 mois de prison ferme et 100.000 Dinars d’amende pour «offense au prophète et à la religion musulmane» et Mebrouk Bouakaz, dit Yuva, a été condamné le 17 décembre 2020, par le tribunal de Vgayet à une peine de 3 années d’emprisonnement et une amende de 50.000 Dinars. En imposant par la force sa langue et sa religion, l’Etat arabe et islamiste algérien pratique une politique coloniale d’assimilation forcée des autochtones Amazighs. Les citoyens Amazighs-Kabyles Zahir Bouchalal, Abderezak Yacine, Abderezak Ouaissa, Farid Djenadi, Djamel Mansouri, Riad Hamchache, Djamel Harour, Lahcen Boussaid, Yahyoun Larbi sont convoqués pour la deuxième fois par le Procureur de la République de Vgayet pour le 31 janvier 2021 et poursuivis sur la base des articles 79 et 100 du code pénal algérien pour «atteinte à l’unité nationale et participation à un rassemblement non armé». Ces accusations sont liées à la participation de ces personnes à un rassemblement pacifique de soutien aux détenus At-Mzab en 2016. Les peines encourues varient de un à dix ans de prison.

 

Le Wali (Préfet), représentant du gouvernement dans la Wilaya (Province) de Vgayet en Kabylie, a entrepris des poursuites administratives contre l’association socioculturelle «Itri n Tlelli n At-Soula» pour «atteinte à l’unité nationale». Son objectif est de dissoudre cette association indépendante et de poursuivre pénalement son président, Tarik Chiboub. Le Wali poursuit également Madjid Oudak, Maire de la municipalité de Chemini qui a délivré l’agrément administratif pour cette association, dans le but de le destituer de son poste de Maire.

 

Dans la région de l’Aurès, Rachid Belkhiri (membre du Congrès Mondial Amazigh), Sifaou Boubir, Seif Edine Mokhtari, Hadji Miloud, Ahmed Noufidj, Massyl Djehara, Yougourta Aliane, Guers Said, Azeddine Maachi, Rachid Mebarki, Redouane Bouldia, Ahmed Ameziane, Hamza Ayachi, Abderrahmane Madji, Mourad Sekiou, Hichem Khenouche, Yahia Amor, Djahar Djouhr, sont poursuivis par la justice algérienne depuis le mois de juin 2020 pour « atteinte à l’unité nationale » pour le simple fait d’avoir porté le drapeau Amazigh lors d’une manifestation pacifique à Batna. Leurs procès ont été reportés plusieurs fois et le dernier a eu lieu le 3 janvier 2021. Le Procureur a requis contre eux, une peine d’un an de prison et 100.000 Dinars d’amende.

 

Des dizaines de personnes sont arbitrairement détenues, des défenseurs des droits et des libertés harcelés et criminalisés et des milliers de personnes ont été contraintes à l’exil. La façade civile représentée par le gouvernement algérien ne cache plus le réel régime militaire qui gouverne l’Algérie par la terreur.

 

Les Amazighs sont particulièrement visés par les autorités algériennes qui répriment gravement la volonté des Amazighs de faire vivre, de protéger et de promouvoir leur langue, leur culture, leurs institutions et leur mode de vie spécifiques.

 

Terroriser les défenseurs des droits de l’homme et du peuple Amazigh et les citoyens est une tactique qui vise à empêcher toute possibilité d’action et d’expression autonomes. Cela viole les dispositions des chartes, conventions, pactes et accords internationaux ratifiés par l’Algérie.

 

Monsieur le Président,

Mmes/Mrs les Députés,

 

Comme vous le savez, l’Algérie est liée à l’UE non seulement par la géographie, l’histoire, les échanges économiques et humains mais aussi et surtout par un accord d’association dont l’article deux précise que « le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’Homme, tels qu’énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme, inspire les politiques internes et internationales des parties et constitue un élément essentiel de l’accord ».

 

Or, depuis vingt ans que cet accord existe, cet article n’a jamais été respecté par l’Algérie, et l’UE ferme les yeux, autrement dit cautionne l’Etat de non droit en Algérie.

 

Nous vous avons déjà alertés à ce sujet à plusieurs reprises et nous avons également alerté le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) qui fait office de « Ministère des Affaires Etrangères » à l’Union Européenne, mais sans aucun résultat, hormis vos résolutions. Notre organisation réclame depuis quinze ans de pouvoir assister en tant qu’observateur, aux réunions UE-Algérie concernant le suivi de l’accord d’association, mais sans réponse à ce jour. 

 

Nous souhaitons savoir comment le Parlement Européen compte assurer le suivi de ses dernières résolutions sur l’Algérie ? Quelles actions ont été ou vont être entreprises auprès du gouvernement algérien ? Par exemple, quelle réponse le Parlement européen a donné ou prévu de donner au parlement algérien et au ministère algérien des affaires étrangères qui ont publiquement exprimé leur mépris pour vos résolutions ? Ce dernier ose même se faire menaçant en déclarant : « L'Algérie condamne et rejette dans le fond et dans la forme cette immixtion flagrante dans ses affaires internes et se réserve le droit de procéder à un examen général et attentif de ses relations avec l'ensemble des institutions européennes ».

 

Et quelle actions concrètes votre Parlement a-t-il entreprises auprès du SEAE et du désespérant commissaire chargé de la gestion des crises, Mr Janez Lenarcic qui, au nom du haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères, a tenté devant vous, de réduire la portée de l’article deux de l’accord d’association UE-Algérie, en qualifiant d’élément « important » le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales au lieu de « essentiel » qui est le terme exact employé dans l'article? Par ailleurs, il est pour le moins déconcertant que Mr Janez Lenarcic réponde aux violations des droits de l’homme et des libertés commises par le régime militaire algérien par la mise en œuvre du « renforcement d’une coopération forte et stratégique avec l'Algérie », ainsi que le soutien de l’UE aux « réformes que les autorités algériennes voudront entreprendre ». Autrement dit, l’Europe conforte et encourage le régime anti-démocratique algérien ?

 

Pour nous, l’attitude du Commissaire européen est un modèle de capitulation, de cynisme et d’hypocrisie politique de la Commission Européenne.

 

De fait, l’attitude de la Commission Européenne n’a pas bougé depuis vingt ans, avec une stratégie à courte vue, fondée les seuls intérêts économiques et géostratégiques, notamment l’accès aux hydrocarbures et la lutte contre l’immigration illégale, au détriment du soutien à la mise en place de l’état de droit, du développement durable, des principes démocratiques et du respect des droits de l'Homme.

 

En conséquence, nous nous adressons de nouveau à votre institution pour savoir si le Parlement Européen a son mot à dire face à la politique néfaste de l’exécutif européen représenté par la Commission et les Etats ? Comment le Parlement européen compte t-il défendre le respect de sa parole et des principes démocratiques de l’Union Européenne par la Commission ? ou bien votre Parlement va-t-il continuer d’accepter que « les dirigeants européens s’assoient sur les résolutions du parlement européen » comme le dénoncent quelques courageux euro-députés ?

 

Monsieur le Président,

Mmes/Mrs les parlementaires européens,

 

Les deux millions de citoyens Amazighs d’Europe et la trentaine de millions d’Amazighs vivant dans les pays d’Afrique du nord sont à l’écoute de vos réponses, en tant qu’institution de la démocratie représentative des peuples européens qui devrait exercer un contre pouvoir face à l’exécutif européen.

 

L’UE est dans l’obligation de respecter et de faire respecter par son partenaire algérien l’article deux de leur accord d’association. Etant qualifié d’« élément essentiel » de l’accord, cet article conditionne l’existence dudit accord. Autrement dit, la violation de cet article par le gouvernement algérien implique le devoir pour l’UE de dénoncer cet accord.

 

En conséquence nous vous demandons Monsieur le Président, Mmes, Mrs les euro-députés, de poursuivre votre engagement en faveur de l’état de droit en Algérie, en demandant à la Commission, comme nous le faisons depuis longtemps, de suspendre immédiatement l’accord d’association UE-Algérie, jusqu’à ce que le gouvernement algérien mette en place un processus démocratique crédible, respectueux des droits de l’Homme et des libertés et respectueux des droits fondamentaux individuels et collectifs des Amazighs de ce pays.

 

Nous vous remercions de l’attention que vous voudrez bien accorder à notre présente lettre et vous prions d’agréer, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les parlementaires, l’expression de notre considération la plus distinguée.

 

Paris, 16/01/2971 – 28/01/2021

 

Le Bureau du CMA.