France-Algérie, questions mémorielles

Monsieur Emmanuel Macron

Président de la République Française

Palais de l’Elysée

55, rue du Faubourg St-Honoré

75008 Paris

 

 

Monsieur le Président,

 

A votre demande, l’historien Benjamin Stora, vient de vous remettre un rapport sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie ». Dans votre lettre de mission vous écriviez en juillet 2020: « Je souhaite m’inscrire dans une volonté nouvelle de réconciliation des peuples français et algérien ».

 

Après lecture du rapport de M. Stora et en tant qu’organisation de protection et de promotion des droits des Amazighs (Berbères), nous souhaitons attirer votre attention sur un certain nombre de points qui nous paraissent essentiels.

 

Tout d’abord il nous parait très important de rappeler que les Franco-Amazighs (ou Franco-Berbères) représentent environ la moitié des citoyens français et immigrés d’origine nord-africaine en France. Cette communauté présente en France depuis près d’un siècle, reste attachée à sa culture d’origine tout en étant complètement en phase avec les valeurs républicaines, dont la laicité.

 

Notre première remarque porte sur l’objectif de la « réconciliation » entre les peuples français et algérien, suite à la colonisation et à la guerre d’Algérie. Nous affirmons que s’il y a désaccord ou conflit, ils ont lieu entre les Etats et non entre les peuples et cela n’est aucunement dû à la période coloniale ou à la guerre. Ce passé a certes connu des traumatismes, mais pour les générations post-1962, il fait partie de l’histoire et n’est pas ou n’est plus traumatisant. L’Allemagne et la France ont connu probablement pire, mais aujourd’hui ce sont deux amies inséparables, alors pourquoi pas l’Algérie ? D’ailleurs en Algérie, il n’y a pas de haine anti-Français. Aucun Français en visite en Algérie n’a témoigné d’un acte raciste ou vexatoire dans ce pays. Même les chefs d’Etat français qui se rendent en Algérie, sont fortement applaudis par la population, beaucoup plus applaudis que les chefs d’Etat algériens qui sont pourtant chez eux. De plus, les gouvernements algériens sans exception, ont toujours instrumentalisé la guerre d’indépendance de l’Algérie et la colonisation pour essayer de cacher leur gouvernance autoritaire et corrompue et leur absence de projet. Et par conséquent, pour les Algériens, le vrai problème, c’est le gouvernement de leur pays.

 

En revanche, ce que les Algériens et particulièrement les Amazighs souhaiteraient, c’est que la France n’apporte plus son soutien inconditionnel au régime militaire anti-démocratique algérien qui opprime les Amazighs, qui viole gravement les droits de l’homme et les libertés fondamentales ; qu’elle soutienne les porteurs d’un projet de développement progressiste et laique, qu’elle ne ferme pas ses frontières de façon aussi hermétique et que chez elle, elle ne soit pas aussi laxiste et généreuse envers les islamistes.

 

De même en France, bien qu’instrumentalisé par les islamistes, ce n’est pas le passé colonial de la France qui pose problème aux jeunes générations issues de l’immigration nord-africaine. Le flou identitaire, la relégation sociale, le racisme sont notamment de vrais motifs de mécontentement. Pour preuve, les discours et les actes symboliques de « repentance » consentis ces dernières années par la France à l’égard de l’Algérie, ont eu lieu dans l’indifférence la plus totale.

 

Ensuite, il nous parait essentiel de porter à votre connaissance que l’image d’une Algérie unique et uniforme, avec un seul peuple « arabe et musulman » ne correspond en rien à la réalité, ni celle d’hier, ni celle d’aujourd’hui, ni celle de demain. Les Amazighs d’Algérie, dont les Kabyles, les Chawis, les At-Mzab… ne sont pas des Arabes, ni tous des musulmans. Ils constituent le peuple (ou les peuples) autochtone de ce pays qui se distingue par son histoire, ses croyances, sa culture et sa langue propres et qui a toujours joué un rôle décisif notamment dans les moments clés de l’histoire. A force de luttes, les Amazighs ont obtenu la reconnaissance de la co-officialité de leur langue à côté de la langue arabe en Algérie et au Maroc et d’autres reconnaissances de leur identité sont à venir. Il est donc temps que la France cesse de traiter les pays d’Afrique du nord comme des pays « arabes ».

 

A cet égard, le rapport de Benjamin Stora minimise largement le rôle des Amazighs (des Kabyles et des Chawis en particulier) dans l’histoire récente de l’Algérie (par exemple dans la création du mouvement national et dans la guerre pour l’indépendance) et cela est regrettable. En réalité, l’Aurès (pays des Chawis dans l’est de l’Algérie) et la Kabylie ont été les fers de lance de la résistance à la colonisation française et à toutes les colonisations et en conséquence, ce sont leurs peuples qui ont enduré les plus grandes souffrances.

 

Enfin, en lien avec les recommandations contenues dans le rapport de Benjamin Stora, voici nos positions et nos propositions :

 

- Nous soutenons l’idée d’un « Traité de réconciliation et d’amitié avec l’Algérie à l’occasion du soixantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022 », mais à condition que les Amazighs de France et d’Algérie soient partie prenante de la rédaction de ce Traité.

 

- Nous souhaitons équilibrer la recommandation de « la construction d’une stèle, à Amboise, montrant le portrait de l’Emir Abdelkader, au moment du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie en 2022 » par la construction d’une stèle dédiée à Fadma N Sumer, première femme cheffe de guerre kabyle, contre l’armée française ou de Slimane Azem, immigré kabyle, grand poète mort et enterré en France, arbitrairement banni de son pays par le gouvernement algérien.

 

- Nous soutenons « la création d’un fonds permettant la traduction du français vers l’arabe, et de l’arabe vers le français, d’œuvres littéraires, et à caractère historique », à condition qu’il en soit de même pour la langue amazighe, c’est-à-dire des traductions du français vers tamazight et de tamazight vers le français.

 

Nous demandons également au gouvernement français à ce que les enseignements de la langue amazighe et de l’histoire de l’Algérie et de l’Afrique du nord dans les écoles françaises soient mis en œuvre en respectant la rigueur scientifique, sans aucune interférence idéologique ou diplomatique. L’enseignement de l’histoire devra nécessairement évoquer le peuple autochtone Amazigh nord-africain, depuis la plus haute antiquité à nos jours, en passant par les rois numides qui ont résisté à l’empire Romain, Saint-Augustin icône du catholicisme, la reine Dihya (Kahena) qui a combattu les invasions arabes… jusqu’à Zinedine Zidane. C’est cette histoire-là qui aidera les jeunes issus de l’immigration nord-africaine à retrouver les « repères identitaires » qui leur font défaut et à combattre l’idéologie islamiste.

 

Enfin, dans la mesure où vous avez reçu à plusieurs reprises les représentants du culte musulman en France, nous vous demandons Monsieur le Président, de bien vouloir recevoir une délégation de représentants de la communauté amazighe de France. Cette rencontre nous parait hautement nécessaire, car elle nous permettra de vous apporter un autre éclairage fort utile afin de mieux appréhender la réalité complexe notamment sur les sujets abordés dans cette lettre.

 

Dans cette attente, nous vous assurons, Monsieur le Président, de notre haute considération.

 

Paris, 10/01/2971 – 22/01/21

Belkacem Lounes, secrétaire général