Lettre du CMA au roi du Maroc

SM le Roi Mohamed-VI

Palais royal

Rabat, Maroc

 

 

 

Majesté,

Comme vous le savez, en pleine pandémie du covid-19, alors que le monde entier est préoccupé par cette grave crise sanitaire, le gouvernement marocain a choisi ce moment précis pour faire adopter en catimini et à grande vitesse, son projet de loi n° 04.20 qui exclut Tamazight de la nouvelle carte nationale d’identité électronique. Selon ce projet, le nouveau document d’identité sera écrit uniquement dans deux langues d’origine étrangère, l’arabe et le français et sans Tamazight, langue officielle, langue autochtone et langue mère du Maroc et de toute Tamazgha (nord de l’Afrique et Sahara).

 

Ainsi, malgré nos mises en garde et celles du mouvement amazigh du Maroc, le gouvernement et le parlement marocains ont violé de manière grave et irresponsable la Constitution du pays qui consacre « Tamazight langue officielle » (article 5) et la loi organique n° 26-16 du 12/09/2019 et notamment son article 21 qui stipule que «seront inscrits en langue amazighe, à côté de la langue arabe, les renseignements contenus dans les documents officiels suivants : la carte nationale d’identité, le passeport, le permis de conduire, les cartes de résidence des étrangers établis au Maroc, les différentes cartes personnelles et attestations délivrées par l’administration».

 

Cette pseudo loi voulue par le gouvernement Saad-Eddine El-Othmani et votée par la majorité des députés, est donc clairement hors-la-loi puisqu’elle est anti-constitutionnelle et qu’elle contredit frontalement la loi organique n° 26-16 du 12/09/2019.

 

De ce fait et certainement à cause de leur soumission aux idéologies arabonationaliste et islamiste importées, le gouvernement et le parlement du Maroc ont commis un acte non seulement illégal mais aussi hautement raciste et discriminatoire à l’encontre des Amazighs. Si ce projet aventureux n’est pas stoppé immédiatement, il provoquera immanquablement la discorde et l’instabilité dans le pays.

 

En effet, les Amazighs du Maroc ont ressenti l’exclusion de leur langue du projet de nouvelle carte nationale d’identité comme une agression contre leur être, contre leur pays et contre leur dignité. Ils ont été offensés et trahis par ce gouvernement et ce parlement indignes et illégitimes.

 

En conséquence, pour les Amazighs, cette fausse et honteuse loi 04.20 est nulle et non avenue. Le Congrès Mondial Amazigh estime également qu’un gouvernement et un parlement qui transgressent la législation en vigueur et qui de ce fait, créent un trouble manifeste et grave à l’ordre public, ne disposent plus d’aucune légitimité et doivent par conséquent être immédiatement démis de leurs fonctions.

 

Par ailleurs, la conception et l’adoption de cette loi scélérate 04.20 témoignent de l’enracinement du racisme et des discriminations anti-Amazighs au sein de l’Etat marocain. C’est ce que nos observations mettent régulièrement en évidence et c’est ce que le comité onusien pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a régulièrement dénoncé dans ses conclusions finales lorsqu’il a examiné le cas du Maroc en 2003 et en 2010. Mme Tendayi Achiume, la Rapporteure Spéciale de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée a noté dans son rapport à l’issue de sa mission au Maroc en décembre 2018, que « les Amazighs subissent une discrimination, une exclusion structurelle et même des stéréotypes racistes et l’intolérance qui y est associée en raison de leur langue et culture amazighes ». Elle a par ailleurs déploré le fait que le Maroc qui devait rendre compte de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en 2014, ne l’ait pas encore fait en 2018 et pas davantage en 2020. Ce retard de six ans s’expliquerait-il par le fait que le gouvernement craint une nouvelle liste d’observations désobligeantes et de recommandations contraignantes de la part de l’ONU ? Au regard du droit international le Maroc est donc aussi largement défaillant sur ce sujet.

 

Majesté,

Assurément, le personnel politique marocain actuel ne sert pas les intérêts du pays. Aussi, il est nécessaire d’identifier les responsables de ces graves dérives tant au sein du gouvernement que de la haute administration de l’Etat et les en exclure et les punir de manière exemplaire. Le Maroc qui aspire à la modernité et au progrès ne peut laisser sévir en son sein, ces porteurs du virus du racisme et particulièrement le virus anti-Amazighs.

 

Malgré ce contexte haineux et agressif qu’ils subissent, les Amazighs ont sû jusque-là garder leur calme notamment à cause du covid-19 et du souci d’éviter sa propagation. Mais cette sérénité apparente cache une profonde colère contre ce gouvernement amazighophobe et cette indigne « représentation » du peuple qui agit contre les intérêts du peuple.

 

Quelle que soit sa patience, le peuple amazigh du Maroc ne saurait accepter les actes perfides portés contre lui au nom de l’Etat marocain.

 

Majesté,

Nous avons décidé vous écrire aujourd’hui, afin de vous demander d’agir au titre de l’article 42 de la Constitution qui prévoit que « le roi, chef de l'État, son représentant suprême, symbole de l'unité de la nation, garant de la pérennité et de la continuité de l'État et arbitre suprême entre ses institutions, veille au respect de la Constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles, à la protection du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens, et des collectivités, et au respect des engagements internationaux du royaume ».  

 

Afin de préserver les intérêts supérieurs du pays et de ses habitants, nous vous demandons de :

 

- abolir la loi n° 04.20 car elle est illégale et porteuse de graves dangers pour le pays,

- stopper toutes les décisions relatives à la fabrication et à la diffusion de la nouvelle carte nationale d’identité électronique, que nous qualifions de carte d’identité de l’apartheid anti-Amazigh,

- mettre un terme aux fonctions de tous les membres du gouvernement et des deux chambres du parlement pour manquements à leurs obligations légales et morales,

- faire accélérer l’application de la loi organique n° 26-16 du 12/09/2019 relative à la mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe,

- faire adopter une loi anti-racisme, criminalisant notamment le racisme anti-Amazighs,

- prendre toutes les mesures pertinentes afin que le Maroc respecte de manière effective ses engagements internationaux en matière de respect des droits humains.

 

Nous restons à votre disposition pour vous apporter tous les éclaircissements vous vous jugerez utiles et vous prions d’agréer, Majesté, l’expression de notre haute considération.

 

Paris, 8/08/2970 – 20/08/2020

 

Les co-présidents du CMA

Kamira Nait Sid - Khalid Zerrari