Le CMA au festival du cinéma de Douarnenez

A l’invitation de la direction du festival du cinéma de la ville de Douarnenez en Bretagne (France), une délégation du Congrès Mondial Amazigh (CMA) composée de Nadia Akkar, Rabah Issadi et Belkacem Lounes, a participé à cet évènement dédié cette année à l’Algérie. Les représentants du CMA ont animé des conférences sur la question amazighe en Algérie et ont également tenu un stand pour présenter les activités du CMA.

Sur la question des langues, c’est Nadia Akkar qui est intervenue pour expliquer qu’en Algérie, Tamazight (la langue amazighe) est parlée dans ses différentes variétés, par environ 1/3 des habitants du pays. En Kabylie, on parle Kabyle, dans les Aurès (dans l’est de l’Algérie), on parle Chawi, dans le Mzab, on parle Tamzabit et on parle Tamasheq chez les Touaregs dans le désert du Sahara. Il existe aussi de nombreux ilots linguistiques amazighs notamment dans les monts du Chenoua à l’ouest d’Alger, dans la région de Chlef mais aussi dans le sud ouest le long de la frontière avec le Maroc. Il y a une intercompréhension plus ou moins importante entre les différents parlers amazighs. Les Kabyles étant les plus nombreux, leur parler est celui qui est le plus utilisé et qui bénéficie également d’une production importante dans les domaines de l’édition de livres et de musique et la production cinématographique. La langue amazighe bénéficie également d’une radio publique (la chaine 2 héritée de l’époque de la colonisation française) et depuis 2009, d’une TV publique amazighe, TV4. En janvier 2000, une chaine de TV privée, Berbère TV, a été créée à Paris.

 

Après des décennies de luttes et de sacrifices des Amazighs d’Algérie et des Kabyles en particulier, Tamazight a été reconnue en 2016 comme langue nationale et officielle à côté de l’arabe, inscrite dans l’article 4 de la Constitution. Cependant, l’article 212 de la même Constitution, mentionne que l’islam et l’arabe sont des « constantes nationales » (c’est-à-dire des éléments sur lesquels on ne peut pas revenir, qui ne peuvent pas être changés), mais ne mentionne pas Tamazight parmi ces éléments non modifiables. Autrement dit, l’arabo-islamité de l’Algérie ne peut jamais être remise en cause, en revanche l’amazighité n’est qu’une variable qui peut être modifiée ou supprimée à tout moment. C’est manifestement une grave discrimination à l’encontre de la langue et de l’identité amazighes.

 

La langue amazighe (ou les langues amazighes) est très sérieusement menacée en Algérie par le phénomène de l’arabo-islamisation forcée, avec un objectif non dissimulé de faire disparaitre la langue et la culture amazighes du sol algérien et nord-africain. C’est du reste, la même politique qui est suivie par tous les Etats arabes au nord de l’Afrique. Leur législation, leur école, leur administration arabisée, leurs journaux et TV (dont une chaine de TV entièrement dédiée au Coran), leurs festivals et festivités culturelles, etc, activent tous dans le même sens et le même but : arabiser de gré ou de force les Amazighs. En même temps, tous les obstacles possibles sont mis en place pour décourager les Amazighs et les détourner de leur propre langue et culture : par exemple, les films en langue amazighe à la TV amazighe, sont systématiquement sous-titrés en arabe, les appels à la prière et les émissions religieuses y sont diffusées en arabe, les discours officiels en arabe ne sont pas traduits en Tamazight, à l’école, la langue amazighe a toujours un caractère optionnel et dans les tribunaux seule la langue arabe est admise, etc.

 

Les associations qui essayent d’agir pour sauver un tant soit peu la langue amazighe sont mises devant le non choix de travailler sous les directives des autorités, elles sont alors arrosées de subventions ou bien elles choisissent leur indépendance et dans ce cas, elles se trouvent confrontées à l’inquisition administrative et policière et leurs membres font l’objet de harcèlements administratifs, judiciaires et policiers permanents.

 

Par ailleurs, ce qu’il est également très important de mentionner, c’est que pour nous, notre langue est indissociable de notre mode de vie, de la démocratie que nous voulons, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la laicité, du respect des droits humains et des libertés fondamentales. En résumé, nous voulons conserver non seulement notre langue mais aussi notre histoire et notre spécificité socioculturelle et politique en tant que peuple distinct. Nous ne voulons pas d’une situation où nous pourrons parler notre langue mais où nous vivrons sous la domination du panarabisme et de l’islamisme, avec ce qu’ils charrient de discriminations, de violences et d’obscurantisme.

 

Comme le disait le poète Kabyle Tahar Djaout assassiné en Algérie, « il y a la famille qui avance et la famille qui recule. Et nous, nous voulons être de la famille qui avance ».

 

Il s’agit donc pour nous les Amazighs, d’un combat difficile qui nous est imposé, mais un combat que nous sommes obligés de mener car il s’agit de notre survie en tant que peuple, a conclut Nadia Akkar.

 

Belkacem Lounès sur l’amazighité en Algérie a d’abord tenu à remercier les responsables du festival d’avoir réservé une place à la question amazighe dans le programme de ce festival et a rappelé que le CMA est né en 1994 ici à Douarnenez, lors du festival du cinéma dédié cette année-là aux peuples berbères. Le CMA et les Amazighs doivent donc beaucoup au peuple Breton, ami du peuple Berbère.

 

Il a ensuite rappelé que les Amazighs en Algérie se composent de divers groupes dont les plus importants sont les Kabyles, les Chawis, les Mozabites et les Touaregs. La question amazighe dans ce pays est posée avec force, conviction et constance d’autant plus que les Amazighs constatent que leur identité est gravement menacée. Leur assimilation forcée à l’œuvre depuis l’invasion arabo-musulmane commencée au 7ème siècle, se poursuit et s’accélère depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962.

 

L’identité amazighe est l’identité autochtone dans tout le nord de l’Afrique et le Sahara et elle fait l’objet d’une agressive politique d’exclusion qui remonte à loin et qui perdure jusqu’à aujourd’hui. En 1948, au sein du « mouvement national » pour libérer l’Algérie de la colonisation française, un groupe de Kabyles a été exclu de ce mouvement, car ils ont posé la question de l’identité de l’Algérie après l’indépendance. Ils avaient défendu l’idée d’une « Algérie algérienne » et non arabo-islamique et non inféodée au Moyen-Orient. Les arabonationalistes algériens les ont accusés de faire le jeu du colonialisme français et les ont traités de traitres. Ce fut la crise dite « berbériste ».

 

Malgré cela, les Amazighs d’Algérie et notamment les Chawis et les Kabyles ont fait partie des premiers rangs du Front de Libération Nationale (FLN) qui a déclenché la guerre en 1954 et tout le monde reconnait qu’ils ont joué un rôle décisif dans la résistance et dans la victoire finale. Juste après l’indépendance, en 1963, Ait Ahmed, un dirigeant historique du FLN, Kabyle, à la tête du Front des Forces Socialistes (FFS), s’est opposé au 1er gouvernement algérien et a créé une dissidence armée en Kabylie. Celle-ci a été réprimée dans le sang et plusieurs autres dirigeants Kabyles ont été assassinés.

 

Le pouvoir algérien aux mains d’arabonationalistes aidés par les monarchies arabes du Golfe et par l’Egyptien Nasser, a ensuite entrepris d’arabo-islamiser les Amazighs à marche forcée et d’étouffer l’expression culturelle amazighe surtout sous le règne de Boumedienne (1965-1979). Cette politique a été véhiculée notamment par l’école avec des pseudo-enseignants souvent des islamistes du mouvement des Frères Musulmans importés du Moyen orient (Egypte, Palestine, Syrie…), par la construction de Mosquées encouragée surtout dans les territoires amazighophones et le mépris, la répression et les interdits contre toute expression de l’amazighité. Et c’est d’abord et surtout par la culture (la chanson, le théâtre, l’édition de revues et de livres) que l’amazighité va résister. Idir est le représentant le plus connu de cette nouvelle génération de chanteurs Amazighs-Kabyles engagés.

 

Quand Idir chante au début des années 1970 « ur z’rir ansi d kigh, ur z’righ anda teddugh », je ne sais pas d’où je viens, je ne sais pas où je vais, et qu’il répond ensuite « muqlegh tamurt umazigh, Yugurten walagh udmik », j’ai regardé le pays amazigh, Jugurtha j’ai vu ton visage, cela fait l’effet d’un coup de fouet sur les esprits des jeunes Kabyles. Cela a poussé les jeunes gens avides de savoir, à interroger l’histoire et leur environnement immédiat, à ouvrir les yeux et à s’auto-former par tous les moyens, y compris par des cours informels ou « sauvages » donnés par des militants. A cette époque, ces jeunes, surtout des Kabyles, étaient très nombreux dans les universités d’Alger car il n’y en avait pas chez eux, en Kabylie (dont le territoire commence à 50 km à l’est d’Alger). Et ils y étaient très actifs. Craignant le risque de propagation des revendications des Amazighs-Kabyles dans la capitale algérienne, Boumedienne, le chef de l’Etat algérien à ce moment-là, qui voue une haine sans limite aux Kabyles, décide de créer des universités en Kabylie. Il pense ainsi cantonner le mouvement revendicatif amazigh à son bastion, la Kabylie.

 

Dans les universités Kabyles (Tizi-Wezzu, Vgayet, Tuvirett…), les étudiants, dans un environnement plus favorable et une relative liberté, faisaient preuve d’encore plus d’initiatives et d’activisme. C’est ainsi qu’en mars 1980 les étudiants de l’université de Tizi-Wezzu invitent l’écrivain Mouloud Mammeri, pour une conférence sur les poèmes kabyles anciens. Celui-ci fut arrêté et la conférence empêchée. S’ensuit une grève générale des étudiants et lycéens, suivie de répression violente, ce qui a provoqué le soulèvement général de toute la Kabylie. C’est Tafsut Imazighen, le Printemps Berbère de 1980. Quatre années plus tard, les animateurs du printemps Berbère, créent la 1ère Ligue algérienne des Droits de l’Homme, non reconnue et bien sûr aussitôt interdite et ses initiateurs accusés de complot contre l’Etat et jetés en prison. Quelques années plus tard, un certain nombre de ces acteurs, profitant du chaos politique d’octobre 1988, créent en 1989, le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD), 1er parti politique poste-indépendance moderniste et laic.

 

Parallèlement, le mouvement culturel Berbère (MCB) continue de pousser ses revendications et en 1994, un mot d’ordre de grève générale dans le système éducatif algérien est lancé, afin que la langue amazighe soit reconnue et enseignée. La grève appelée « grève du cartable » fut largement suivie en Kabylie principalement, de l’école primaire à l’université pendant une année. Au printemps 1995, le gouvernement algérien crée le Haut Commissariat à l’Amazighité (HCA) et décide d’introduire l’enseignement de l’amazigh à partir de la rentrée 1995.

 

C’est un petit succès et le combat continue... Lounès Matoub, un chanteur anti-pouvoir algérien et anti-islamistes, très populaire chez les Kabyles et auprès de tous les militants Amazighs est assassiné en plein jour près de son village natal, le 25 juin 1998. Trois ans plus tard, en avril 2001 à la suite de la mort d’un jeune Kabyle dans une brigade de gendarmerie et surtout suite aux propos de M. Zerhouni, ministre de l’intérieur qui a dit « ce n’était qu’un voyou », toute la Kabylie s’est brusquement enflammée, plus encore qu’en 1980. Des émeutes éclatent partout et les forces gouvernementales répondent par des tirs à balles réelles, tuant 126 personnes en l’espace de 3 mois. C’est le printemps noir de Kabylie.

 

C’est dans ce contexte « révolutionnaire » qu’est créé en juin 2001, le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK) qui revendique un statut de large autonomie pour la Kabylie. En 2002, le gouvernement accorde le statut de langue nationale à la langue amazighe, mais cela n’apporte rien de concret. En 2016, Tamazight est inscrite dans le Constitution comme langue nationale et officielle mais dans les faits, elle reste largement marginalisée.

 

Depuis 2013 particulièrement, le peuple amazigh At-Mzab (dont le territoire se trouve à 600 km au sud d’Alger), fait l’objet de divers actes d’agressions de la part de la communauté arabe Chaamba, soutenue par la police et les autorités algériennes. En 2014, le Dr Kamel-Eddine Fekhar, Mozabite et défenseur des droits de l’homme, adresse une lettre à Ban Ki-Moon pour demander la mise du peuple At-Mzab sous la protection de l’ONU. En juillet 2015, trente six citoyens Mzabs sont tués lors de manifestations et de heurts entre les At-Mzab et la communauté Chaamba ouvertement aidée par la police algérienne. Kamel-Eddine Fekhar est arrêté et accusé de complot contre l’Etat et détenu pendant 2 ans. Libéré après avoir purgé sa peine, il est de nouveau arrêté en mars 2019 et après 53 jours de grève de la faim, il décède en prison le 28 mai dernier.

 

Devant la persistance du refus des autorités algériennes d’accéder aux revendications du MAK et de la politique répressive du gouvernement algérien, ce mouvement change sa revendication d’autonomie en autodétermination pour la Kabylie et se dote d’un gouvernement provisoire en exil. En 2017, deux nouveaux mouvements sont créés en Kabylie, l’Union pour la République Kabyle (URK), indépendantiste et le Rassemblement pour la Kabylie (RPK), autonomiste.

 

En 2018, Yennayer (Jour de l’An Amazigh) est déclaré jour de fête nationale, chômé et payé. Mais cette fête ainsi « nationalisée », est récupérée par le pouvoir algérien et folklorisée. En septembre de cette même année, le Parlement algérien adopte la loi prévue par la Constitution de 2016, de mise en œuvre du caractère officiel de la langue amazighe. Et au lieu d’une loi qui indique comment Tamazight va être mise en place dans le système éducatif, administratif, judiciaire et dans les entreprises publiques et privées, la loi adoptée porte uniquement sur la création de l’académie algérienne de la langue amazighe. C’est donc clairement un acte de mauvaise foi, une duperie.

 

Rabah Issadi est intervenu pour rappeler les causes qui ont fait éclater la révolte des Kabyles en 2001 et souligner les contradictions de la Constitution algérienne qui affirme dans un paragraphe de son préambule que les composantes fondamentales de l’Algérie sont « l’Islam, l’Arabité et l’Amazighité » et dans un autre paragraphe que l’Algérie est seulement une « terre d’Islam » et « un pays arabe ». De plus, la loi n° 91-05 du 16 janvier 1991 portant généralisation de l'utilisation de la langue arabe est toujours en vigueur. Cette loi interdit à quiconque d’utiliser une autre langue que l’arabe dans toutes les correspondances et les communications publiques. L’octroi du statut de langue officielle à la langue amazighe n’a pas du tout pour but de promouvoir cette langue mais bien d’en faire désormais une « affaire de l’Etat » algérien et de ce fait, la couper de son peuple.

 

Les représentants du CMA ont conclu leurs propos sur les points suivants :

- L’histoire récente de l’Algérie montre que les Amazighs et particulièrement les Kabyles ont toujours été et demeurent le fer de lance et l’aiguillon des luttes démocratiques dans ce pays. Ils mènent un combat difficile et à huis clos, qui implique de grands sacrifices pour des résultats maigres et qui peuvent être remis en cause à tout moment,

 

- L’Etat algérien maintient une politique raciste et discriminatoire à l’encontre des Amazighs. Les appels à la haine anti-Amazighs et anti-Kabyles ne sont jamais poursuivis par la justice,

 

- la politique d’arabo-islamisation est poursuivie et même accélérée dans le but d’éradiquer l’identité amazighe,

 

- La répression se poursuit sans faiblir, jusqu’à l’interdiction des drapeaux amazighs (41 personnes arrêtées et emprisonnées depuis juin 2019 pour avoir possédé ou porté le drapeau amazigh).

 

- Le pouvoir algérien étant d’obédience arabo-islamique, on ne peut pas attendre de lui qu’il respecte ou qu’il mette en œuvre une politique en faveur des droits des Amazighs,

 

- Des millions d’Algériens ont été pendant des décennies endoctrinés par l’idéologie arabo-islamique. Ils ont fini par adopter plus ou moins l’idée que l’amazighité est un danger pour l’unité de leur nation. Même les plus démocrates d’entre eux, n’acceptent pas les revendications des Amazighs, pourtant très légitimes et légales au vu du droit international. Les plus courageux d’entre eux disent du bout des lèvres, « oui aux droits des Amazighs, mais pas maintenant ». En conséquence, pour eux, les droits des Amazighs peuvent attendre… Jusqu’à quand ?

 

- Les principales opinions qui traversent le mouvement dit « hirak » algérien d’aujourd’hui n’acceptent même pas d’en débattre. Lorsque le général qui exerce de fait les fonctions de chef de l’Etat a décrété en juin dernier hors de tout cadre légal que le drapeau Amazigh était interdit et que la police a commencé à arrêter ses porteurs, on pouvait espérer que des milliers d’Algériens, par solidarité, sortent spontanément avec des drapeaux amazighs. Il n’en fut rien ! En conséquence, il n’est pas certain que ce mouvement qui veut « dégager » le régime militaro-maffieux algérien, va le remplacer par un système réellement démocratique, qui va respecter les droits des Amazighs, la laicité, l’égalité entre les femmes et les hommes et les droits humains en général. Et dans ce cas, c’est-à-dire dans le cas où le futur système politique algérien ne sera pas réellement démocratique et ne respecte pas nos droits en tant que peuple distinct, non seulement nous ne le soutiendrons pas, mais nous le combattrons. Nos droits individuels et collectifs et notre projet sociétal doivent être pris en considération sans délai et sans conditions si l’on veut sincèrement bâtir une nouvelle ère fondée sur la paix et la fraternité dans ce pays.

 

Les membres du CMA ont été très heureux des marques de sympathie que leur a manifesté le public Breton et ils tiennent à renouveler leurs sincères remerciements à tous.

 

Douarnenez, 25 août 2019

Nadia Akkar, Rabah Issadi, Belkacem Lounès