Les violations des droits humains dans les pays du nord de l’Afrique une nouvelle fois dénoncées à Bruxelles

Au mois de novembre 2015, une délégation de défenseurs des droits humains conduite par le CMA, s’était rendue au Parlement Européen et auprès des organes compétents des Nations Unies à Genève, afin d’alerter les instances internationales sur les graves violations des droits humains commises par les autorités algériennes contre le peuple At-Mzab.

Suite à cette visite, l’Euro-député Catalan Jordi Sebastia a pris l’initiative d’interpeller le 11 avril 2016, Mme Federica Mogherini, Haute représentante de l’UE pour les Affaires Etrangères et la politique de sécurité, au cours d’une session du Parlement Européen, au sujet de « la violente répression exercée par l’Etat algérien contre les At-Mzab ».

 

Auparavant, en janvier, puis en février 2016, le CMA avait adressé deux lettres à M. Marek Skolil, Ambassadeur de l’Union Européenne en Algérie, afin de solliciter une rencontre ayant pour but de porter à sa connaissance les actes de répression commis par l’Etat algérien à l’encontre des populations civiles, particulièrement dans la région du Mzab. Au mois de mai dernier, le CMA a renouvelé sa demande de rencontre avec M. l’ambassadeur de l’UE à Alger mais sans réponse. Devant le silence injustifié du premier représentant de l’UE à Alger, le CMA a décidé de s’adresser directement à l’European External Action Service (EEAS), l’équivalent du Ministère des Affaires Etrangères de l’Union Européenne à Bruxelles, dirigé par Mme Mogherini.

 

Belkacem Lounes, Secrétaire Général du CMA et Mohammed Dabouz représentant de l’association Izmulen, ont donc été reçus le 21 juin par les hauts fonctionnaires de l’EEAS en charge des différents pays d’Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye) et de la thématique des droits humains. Les délégués Amazighs ont exposé, documents à l’appui, la situation qui prévaut actuellement dans chacun des pays de Tamazgha. Concernant le Maroc, le CMA a dénoncé particulièrement les cas de l’injuste incarcération de Mustafa Oussaya et Hamid Ouattouch pendant 9 ans et la spoliation des terres et des ressources naturelles des habitants de Imider par la Société Metallurgique de Imider (SMI) avec le soutien des autorités marocaines. Face aux protestations populaires de Ait-Imider qui durent depuis 5 ans, la gendarmerie et la justice marocaines répondent régulièrement par les arrestations et la détention arbitraire de citoyens. En Tunisie, c’est la négation totale de l’amazighité dans ce pays et le refus du gouvernement d’enregistrer l’Association des Populations des Montagnes de Tunisie qui a été signalée. En Libye, les agressions meurtrières et le blocus infligés aux Touaregs dans le sud du pays pour les chasser de leurs territoires riches en ressources minières et les inquiétudes concernant l’avenir des Amazighs de ce pays ont également été présentés. L’exposé sur l’Algérie a porté sur les graves violences subies ces dernières années par les At-Mzab, avec l’implication avérée des autorités algériennes, la détention arbitraire depuis presque une année sans jugement d’une centaine de citoyens Mozabites dont Nacereddine Hadjadj, ancien élu, Noureddine Kerrouchi, militant d’un parti politique et Kameleddine Fekhar, défenseur des droits de l’homme. Ils risquent aujourd’hui la peine capitale pour des charges extrêmement graves, comme « atteinte à la sûreté de l’Etat ». Les prisonniers Mozabites endurent également la torture et autres traitements cruels, inhumains et dégradants qui ont déjà provoqué la mort de deux personnes. Mohamed Baba-Nadjar, un jeune Mozabite a été injustement condamné à la prison à perpétuité. Les avocats des détenus, Maîtres Salah Dabouz, Fatiha Rahmouni et Noureddine Ahmine subissent des actes d’intimidation de la part de la police et de l’administration judiciaire dans le but de les empêcher d’exercer leur métier librement et en toute indépendance. Maitre Dabouz qui est également président de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme (LADDH) fait actuellement l’objet d’un mandat d’arrêt. Les représentants du CMA et de Izmulen ont ensuite demandé au Service européen pour l’action extérieure de prévoir une visite de l’Ambassadeur de l’UE en Algérie aux prisonniers politiques Mozabites, de demander leur libération et le cas échéant, de suivre de près les procès à l’encontre des détenus et des défenseurs des droits de l’homme du Mzab. Les hauts responsables de l’EEAS ont également été informés de l’acharnement du gouvernement algérien contre Mme Kamira Nait Sid, Présidente du Congrès Mondial Amazigh (CMA), privée d’activité professionnelle depuis le mois de septembre 2015 et qui subit les tracasseries policières à chacun de ses passages à l’aéroport d’Alger. En tant qu’ONG, le CMA est également empêché d’organiser librement ses réunions et ses activités en Algérie. Il y a une volonté claire du régime algérien de faire taire par tous les moyens les défenseurs des droits de l’homme et de prohiber toute expression libre et indépendante. Les délégués Amazighs ont également alerté les responsables des Affaires étrangères de l’UE sur les graves risques immédiats qui planent sur la Kabylie à cause de la politique agressive du gouvernement algérien et les harcèlements policiers et judiciaires quotidiens exercés particulièrement contre les militants du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK), un mouvement politique qui agit pourtant par des moyens pacifiques et démocratiques.

 

Belkacem Lounès et Mohammed Dabouz ont ensuite rappelé à leurs interlocuteurs que l’Union Européenne n’a ni le droit, ni intérêt à ce que les violences institutionnelles, les violations massives et répétées des droits humains et la présence de régimes autoritaires et non démocratiques, continuent de perdurer dans son voisinage sud. Sur le plan juridique notamment, il suffit que l’UE décide d’appliquer pleinement les articles mentionnés dans les accords d’association qui la lient à ces Etats, et particulièrement l’article qui prévoit que « le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux de l’Homme, tels qu’énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme, inspire les politiques internes et internationales des parties et constitue un élément essentiel de l’accord ». Depuis des années, le CMA exhorte l’UE à faire appliquer cet article – juridiquement contraignant – afin d’amener les gouvernements de l’Afrique du Nord à se mettre enfin sur le chemin de l’état de droit. L'Union Européenne doit se montrer intransigeante vis-à-vis de ses partenaires, particulièrement dans le domaine des droits de l'homme, de la démocratie et de la primauté de droit, conformément à ses propres engagements.

 

Par ailleurs, le CMA a insisté sur le fait que le « dialogue politique » prévu par les Accords d’association entre l’UE et les gouvernements, ne doit pas se limiter aux ministres et aux hauts fonctionnaires mais s’ouvrir aux organisations de la société civile. C’est une nécessité démocratique et un facteur qui contribuera à « la prospérité, à la stabilité et à la sécurité de la région méditerranéenne », objectif des Accords.

 

Les délégués Amazighs ont ensuite rencontré plusieurs responsables au sein de la direction générale pour la coopération internationale et le développement avec lesquels le dialogue s’est poursuivi sur les méthodes et les moyens de promouvoir les principes démocratiques, le respect des libertés et des droits humains dans les pays de la région nord de l’Afrique.

 

Cette visite aux instances européennes fera l’objet d’un suivi régulier qu’assurera le CMA dans le but de faire cesser les graves abus de pouvoir commis par les gouvernements des Etats du nord de l’Afrique et pour promouvoir l’état de droit.

 

Bruxelles, 21 juin 2016

 

 

Compte rendu rédigé par le secrétariat du CMA.